Une restauration révélatrice à l'Inguimbertine

Information générale - Culture

Un tableau emblématique de l’histoire de Carpentras nécessitait une restauration. Et c’est lors de celle-ci que des informations très intéressantes sur l’origine de l’oeuvre ont pu être mises à jour.

À la fin du XVIIe siècle, l’évêque de Carpentras, Lorenzo Butti, a confié au sculpteur mazanais Jacques Bernus la rénovation du décor du chœur de notre si chère cathédrale Saint-Sif-frein. L’artiste a réalisé un maître-autel, une gloire monumentale et des statues de vertus et d’angelots, tous en bois taillé et doré. Au-jourd’hui, l’Inguimbertine conserve des des-sins, maquettes et modèles en bois ou terre crue illustrant le processus de création et les échanges entre l’artiste et le commanditaire. C’est grâce à un relévé dessiné effectué par nul autre que Jules Laurens qu’on peut voir que derrière le maître-autel siégeait un tableau supprimé dans les années 1830. En effet, c’est à ce moment que l’ensemble est remplacé par un autel en marbre sur lequel sont remployés les deux seuls anges adorateurs sculptés par Ber-nus. Après quelques pérégrinations, la Ville de Carpentras, propriétaire de ces biens, affecte en 1935 les vestiges du maître-autel de Bernus et le tableau au musée municipal.

Le fameux tableau représente le saint Mors, relique emblématique de Carpentras, forgée à l’initiative de l’impératrice Hélène à partir des clous de la croix de la crucifixion du Christ qu’elle aurait retrouvés en 327 à Jérusalem et offert à son fils Constantin pour conduire son cheval. Peut-être ramenée de Constantinople par les croisés en 1204, la relique réapparaît à Carpentras et elle orne le sceau de l’évêque dès 1226, avant de devenir le symbole de la Ville. Sur le tableau, le saint Mors (ou saint Clou ou saint Frein) est adoré par les saints protecteurs de la ville, dans un paysage imaginaire de bord de mer : on reconnaît de gauche à droite sainte Marthe tenant la tarasque (monstre hybride qui vit sur les berges du Rhône) en laisse, saint-Siffrein, évêque de Carpentras au VIe siècle, saint Antoine abbé et sainte Ursule. La restauration du tableau qui sera présenté en exposition permanente de l’Inguimber-tine à l’hôtel-Dieu, a été réalisée en 2023 par Christine Evrard, dans les ateliers du Centre Interdisciplinaire de Conservation et de Res-tauration du Patrimoine à Marseille. L’œuvre a ainsi retrouvé sa splendeur et révélé des infor-mations qui éclairent le tableau sous un jour nouveau. En effet, sur le pilier qui cadre la composition à notre droite a été retrouvée l’inscription sui-vante : P. Trabaud Faciebat 169, indiquant l’auteur P. Trabaud et la date de réalisation dans les années 1690 (le dernier chiffre est effacé). Au-dessous, le dégagement d’un surpeint qui date vraisemblablement de la période révolutionnaire a révélé des armoiries. Ces mêmes armoiries se retrouvent sur les boi-series du maître-au-tel et appartiennent à la famille des Joa-nis de Verclos. On sa-vait par les archives que le maître-autel avait été commandé par l’évêque Butti au sculpteur Jacques Bernus, mais que sa dorure fut financée par le chanoine de la cathédrale Paul de Joanis de Verclos. Ce mécénat justifie que ses armoiries aient été gravées sur les piliers du maître-au-tel. Le fait de retrouver sur le tableau les armoiries du chanoine pourrait laisser supposer qu’il en soit le seul commanditaire. Ces décou-vertes éclairent d’un jour nouveau le contexte de création de cet ensemble du maître-autel baroque de Saint-Siffrein, dont on connaît désormais les commanditaires et les artistes. Si trois de ces protagonistes sont connus des historiens, un acteur en la personne du peintre P. Trabaud reste encore inconnu et nécessitera des investigations. Mais quoi de plus intrigant et de challengeant qu’un peu de mystère autour d’un si magnifique tableau ?